Dépistage du cancer du sein
Dépistage du cancer du sein
Le dépistage actuel par mammographie pour le cancer du sein présente des avantages évidents, mais est également associé à certains effets secondaires. Le rapport bénéfice / risque de ces effets peut différer selon le risque individuel de chaque femme de développer un cancer du sein. L’étude MyPeBS cherche précisément à comparer les avantages et les risques des deux stratégies de dépistage : la stratégie actuelle (mammographie pour toutes les femmes à partir d’un certain âge) par rapport à une stratégie basée sur le risque de cancer du sein (fréquence des mammographies – et des IRMs si besoin – adaptée au niveau de risque).
Cancer du sein : un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale
Le cancer du sein est le cancer le plus répandu et la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes des pays occidentaux. Le cancer du sein est un problème majeur à l’échelle mondiale, avec près de 1,7 million de nouveaux diagnostics et 521 900 décès dus à un cancer du sein estimés dans le monde en 2012.
Le cancer du sein reste une maladie potentiellement mortelle. En effet, 20 à 25% des femmes développant un cancer du sein mourront éventuellement des suites du développement de métastases. Le risque de métastases et le pronostic global sont liés à la fois à la biologie de la tumeur et à la charge tumorale au moment du diagnostic.
Bien que des durées de survie très longues soient parfois constatées, le cancer du sein métastatique reste une maladie incurable.
À l’heure actuelle, le cancer du sein localisé nécessite le plus souvent des traitements agressifs et prolongés, associés à des conséquences à long terme. L’intensité et la lourdeur du traitement sont clairement liées à la biologie du cancer, mais également à la charge tumorale au moment du diagnostic. La charge tumorale est le principal déterminant de l’intensité des traitements locaux, dont la chirurgie (mastectomie partielle versustotale, chirurgie axillaire) et la radiothérapie. Les traitements médicaux adjuvants du cancer du sein, incluant la chimiothérapie, les traitements endocriniens et les thérapies ciblées, restent difficiles pour les femmes car associés à des séquelles à long terme, et sont associés à des coûts de prise en charge élevés.
L’amélioration de la prévention du cancer du sein représente donc un enjeu majeur : cela repose à la fois sur un diagnostic plus précoce (prévention secondaire), qui est associé à un meilleur pronostic, à une diminution des besoins en traitements, à une morbidité moindre des traitements et à une réduction des coûts, et évidemment sur une meilleure prévention primaire (diminution de certains facteurs de risque).
67 millions
d’habitants
54 000
nouveaux cas / an
12 000
décès par an
Stratégies actuelles de dépistage du cancer du sein : avantages connus
Dans les pays occidentaux, le dépistage du cancer du sein fait partie des systèmes nationaux de dépistage organisés avec contrôle de la qualité du dépistage et double lecture des mammographies (sauf en Israël). Les radiologistes et les radiographes certifiés sont responsables de la qualité des performances de diagnostic.
Mis à part les rares patients identifiés comme étant à très haut risque, l’âge est actuellement le seul critère pour qu’une femme soit invitée au dépistage organisé du cancer du sein ; selon les pays, les mammographies sont alors proposées tous les 1 à 3 ans, à partir de 40-50 ans jusqu’à 69-74 ans.
Ces recommandations de dépistage sont basées sur des études randomisées à grande échelle (New York, Malmo 1 et 2, Édimbourg, comté de Suède 2, essais Canada 1 et 2, Stockholm, Goteborg, Age trial au Royaume-Uni) qui ont montré globalement que le dépistage réduit la mortalité spécifique par cancer du sein d’environ 20% dans les populations en intention de traiter (femmes invitées) ou de 30 à 40% dans les populations per protocol (femmes participantes).
Plusieurs réévaluations des avantages associés au dépistage par mammographie établis dans des essais randomisés ont été publiées au cours des 10 dernières années, avec une interprétation variable des données. En effet, les méthodologies des essais sont quelque peu hétérogènes et la plupart des essais cliniques datent d’époques où l’incidence du cancer du sein et les traitements étaient très différents. L’évaluation par un panel anglais indépendant mené par Sir Marmott en 2011 a estimé que le dépistage par mammographie à partir de 50 ans permettrait d’éviter un décès par cancer du sein pour 250 femmes invitées. Il a également été démontré que le dépistage par mammographie réduisait le nombre de cancers de stade 2 et plus au moment du diagnostic chez les femmes de plus de 50 ans.
En revanche, le rapport bénéfice / risque du dépistage par mammographie entre 40 et 50 ans est controversé et chaque pays a actuellement sa propre politique.
Inconvénients du dépistage actuel du cancer du sein par mammographie
Le dépistage actuel par mammographie est associé à un certain nombre d’effets secondaires et d’insuffisances qui ont été largement débattus dans la littérature médicale au cours des 10 dernières années:
- La sensibilité des mammographies réalisées tous les 2 ans n’est pas optimale (et l’est encore moins quand réalisées tous les 3 ans, comme au Royaume-Uni): sur 1 000 femmes examinées, 1 à 2 cancers (ou plus pour le Royaume-Uni) sont des cancers d’intervalle. Cela correspond à 16 à 35% des cancers détectés qui sont des cancers d’intervalle, suivant la fréquence de dépistage. En outre, environ un quart des cancers survenant chez des femmes régulièrement dépistées sont toujours diagnostiqués au stade 2 ou plus.
- Un faible pourcentage de mammographies de dépistage entraînent des bilans ou des biopsies supplémentaires suite à une anomalie détectée sur une image qui se révèle finalement bénigne: ces résultats « faux positifs », selon leur estimation, concernent 3 à 14% des mammographies de dépistage, causant chez les femmes dépistées une anxiété inutile.
- Une autre critique est le surdiagnostic associé aux mammographies (dépistage par imagerie d’un cancer qui n’aurait pas causé de symptôme / serait resté cliniquement indétectable car évoluant très lentement), conduisant à un surtraitement inhérent. Ce surdiagnostic est estimé en moyenne à 10% de tous les cancers détectés par dépistage (les estimations sont très variables, allant de 1% à 30%, en fonction de la population et des méthodes d’estimation).
- Enfin, le dépistage mammographique peut causer des cancers du sein radio-induits. Ce risque est extrêmement faible (environ 1 femme sur 1 000 dépistée au cours des 30 dernières années), à mettre donc en balance par rapport aux avantages d’un diagnostic précoce que permet le dépistage par mammographie ; les doses de rayonnement délivrées sont désormais surveillées de très près.
Modifier la stratégie de dépistage pourrait être bénéfique
Changer le dépistage annuel peut être plus efficace que le dépistage biennal chez les femmes qui sont à haut risque à cause de leur densité mammaire et d’autres facteurs de risque. A l’inverse, plusieurs études ont suggéré qu’un dépistage moins fréquent serait plus avantageux pour les femmes à faible risque car leur rapport bénéfice/risque se verrait augmenté.
Nous avons ainsi toutes les raisons de penser qu’un dépistage personnalisé sur le risque devrait être non inférieur et potentiellement supérieur au dépistage standard fondé sur l’âge ; en effet:
- Chez les individus à haut risque, bien que les effets secondaires du dépistage ne diminuent pas et puissent même augmenter en raison d’une fréquence de dépistage plus élevée, ce dépistage a de fortes chances d’être plus efficace car, comme le démontrent de nombreuses publications, plus à même de détecter plus précocement des cancers ;
- Chez les femmes à faible risque, le rapport bénéfice / risque devrait être plus équilibré car elles seraient moins exposées aux effets secondaires des mammographies (faux positifs, surdiagnostic, surtraitement, cancers radio-induits) du fait de mammographies plus espacées dans le temps, tandis que l’efficacité ne devrait pas être diminuée ; cependant, risque faible ne signifie pas risque nul et des mesures de surveillance (auto palpation, etc) appropriées devraient alors être renforcées.
La “médicine des 4P” et son application au dépistage du cancer du sein
La prévention personnalisée du cancer (c’est-à-dire l’estimation individualisée du risque, associée à un dépistage et une prévention primaire personnalisés) est un défi majeur de santé publique. Cependant, cette approche nécessite une identification des risques individuels et une prise de conscience menant à des changements de comportements en matière de prévention du cancer. Cela nécessite également de toucher la bonne population et de minimiser les inégalités d’accès aux soins de santé. Ceci est inclus dans la «médicine des 4P” pour : Prédictive, Personnalisée, Préventive et Participative.
Facteurs de risque de cancer du sein
Bien que le nombre de décès dus au cancer du sein ait diminué dans de nombreux pays occidentaux, l’incidence du cancer du sein continue d’augmenter. En particulier, dans les pays à incidence historiquement faible, les taux de cancer du sein augmentent rapidement, ce qui en fait maintenant le cancer le plus fréquent dans le monde. L’augmentation de l’incidence est certainement liée aux changements dans les habitudes alimentaires et reproductives/procréatives associées aux modes de vie occidentaux. D’après des études génétiques réalisées aux États-Unis, en Islande et au Royaume-Uni, l’incidence a été multipliée par 3 au cours des 80 dernières années, non seulement dans la population en général, mais également dans les cas de mutations BRCA1 et BRCA2.
L’exploration et la description des risques associés au cancer du sein dans le cadre de vastes cohortes rétrospectives et prospectives ont permis de disposer d’un très grand nombre de données sur les facteurs de risque individuels potentiels du cancer du sein.
Modèles d’évaluation du risque de cancer du sein
Puisque les facteurs individuels, à l’exception des antécédents familiaux, ont un impact limité lorsqu’ils sont utilisés seuls, plusieurs modèles mathématiques multivariés permettant d’estimer le risque de cancer du sein dans la population générale ont été développés au cours des 25 dernières années. Tous ces modèles utilisent des variables cliniques basées sur les antécédents familiaux, une histoire de maladie mammaire bénigne, ainsi que des variables dérivées d’études épidémiologiques représentant l’exposition aux hormones endogènes et exogènes.
Ces modèles de risque de cancer du sein peuvent être divisés en deux catégories: ceux qui utilisent principalement des facteurs hormonaux et environnementaux et ceux qui se concentrent davantage sur le risque héréditaire. En effet, des modèles spécifiques ont été développés dans des populations à haut risque familial, capables de prédire la probabilité d’une mutation germinale ainsi que le risque individuel de cancer du sein chez une femme: ils incluent le Extended Claus et plus récemment, les modèles BRCAPRO et Bodicea.
Cependant, ces modèles ne conviennent pas à la population générale : ils ont été développés pour prédire les mutations de BRCA1 / 2 mais peuvent être moins pertinents pour d’autres mutations germinales.
Les modèles les plus pertinents pour la population générale les trois outils d’évaluation du risque de cancer du sein (nouvelles versions) : Breast Cancer Risk Assessment Tool (BCRAT / Gail), Tyrer-Cuzick (IBIS) et Breast Cancer Screening Consortium (BCSC).
Ces modèles récents d’estimation du risque de cancer du sein reposent sur des cohortes de dépistage et intègrent la densité mammaire mammographique. Cet ajout a légèrement augmenté leur précision dans la discrimination des femmes qui développent ou non un cancer du sein, avec des statistiques de concordance (statistiques c) d’environ 0,65 par rapport à 0,58 pour les modèles n’incluant pas la densité.
Un point crucial consiste à utiliser des modèles validés au niveau international, et ces 3 scores font actuellement l’objet d’une validation externe.
Les équipes impliquées dans MyPeBS ont déjà utilisé deux de ces scores d’évaluation du risque de cancer du sein :
- Le modèle américain BCSC a été validé dans la cohorte de la clinique Mayo et, plus récemment, dans des cohortes françaises suivant le dépistage organisé du cancer du sein (après ajustement sur l’incidence nationale, c-statistique 0.61, E / 0 1.005) et peut être utilisé tel quel ;
- Le modèle Tyrer-Cuzick a été largement décrit dans des études menées en population générale ainsi que dans des populations à haut risque familial (IBIS1). Il revêt une importance particulière pour les femmes ayant des antécédents familiaux: en effet, son exactitude est moyenne dans la population générale (c-statistiques entre 0,57 et 0,60), alors qu’elle est très élevée dans les populations à risque familial (c-statistiques jusqu’à 0,70).
Le génotypage pour estimer du risque de cancer du sein
Un polymorphisme mononucléotidique (SNP pour Single-nucleotide polymorphism) est une variation de l’ADN d’un nucléotide unique qui se produit à une position spécifique dans le génome, où chaque variation est présente dans une certaine mesure au sein d’une population (par exemple> 1%).
Outre les facteurs de risque cliniques antérieurs et leur agrégation en scores, d’énormes initiatives internationales (en Europe et Amérique du Nord) ont abouti, grâce aux progrès de la génomique, à l’identification de plus de 150 polymorphismes nucléotidiques communs et validés, associés au risque de cancer du sein.
Ces SNPs prédisent soit un cancer du sein invasif (majoritairement) et / ou un risque de récepteurs hormonaux négatifs, soit un risque de décès par cancer du sein. La plupart des SNPs ont un faible effet individuel, ceux décrits initialement ayant le plus fort impact (OR global 1,01-1,30).
Les dernières publications ont identifié plus de 300 nouveaux SNPs indépendants associés à un risque global de cancer du sein avec un p <5 × 10−8. La majorité des polymorphismes mononucléotidiques à risque crédibles situés dans ces loci relèvent d’éléments régulateurs distaux et, en intégrant des données in silico pour prédire les gènes cibles au niveau de chaque locus dans des cellules mammaires, on a démontré un fort chevauchement entre les gènes cibles candidats et les gènes drivers/conducteurs somatiques dans les tumeurs du sein.
La complémentarité des SNPs pour prédire le risque de cancer, par rapport à d’autres facteurs de risque de cancer du sein, à savoir la densité mammaire, l’histoire reproductive et le mode de vie, est maintenant démontrée. Les combinaisons de modèles de risque incluant variables cliniques classiques + densité mammographique + score SNP (à savoir un score de risque de polymorphismes = PRS) sont utilisées pour estimer plus précisément le risque populationnel, permettant d’affiner / de mieux discriminer les groupes à risque élevé et faible. C’est ce qui est fait dans l‘étude MyPeBS.